Suggestion musicale pour accompagner la lecture de ce texte : Kid For Today - Boards Of Canada
La nuit est claire.
Perdue parmi les astres, la Lune irrigue les cimes de son flux lumineux. Sur Terre, l’éclairage public pare la neige bleutée de reflets d’or.
J’aperçois les premiers mètres du sentier. Je devine sa silhouette filiforme, qui s’enroule lascivement autour des reliefs. Mousses, souches et troncs semblent se complaire dans son étreinte.
Pas après pas, la chaleur des réverbères laisse place à la quiétude nocturne. Une fine couche de neige fraîche, tendre et légère, repose sur la neige verglacée. À part quelques lièvres, personne n’a encore posé le pied sur ce nouveau sol.
La neige tombe en silence.
En silence, le sentier se régénère.
En silence, le monde renaît.
Un souffle glacial fait bruisser les branches des pins. Quelques flocons s’arrachent avec légèreté de la surface du sol, s’envolant vers les étoiles ; dessinant de gracieuses arabesques sur la toile nocturne. Le vent glisse entre les troncs, emporte la chaleur de la chair et les démons de l’esprit.
Brusquement, la ligne d’horizon déchiquetée des cimes s’interrompt. À cet endroit, une balafre de glace, filiforme et rectiligne, incise la forêt. Dans la neige compactée, d’innombrables stries parallèles renvoient une lueur aussi ténue que glaciale. Terribles cicatrices que ces rayures crissantes, reliquats muets et sordides des couteaux des dameurs. La lueur de ma lampe frontale se perd dans la perspective infinie de ces marques de glace.
Quelques instants plus tard, le sentier enneigé s’entortille avec passion le long des reliefs. La pente se fait plus ardue, l’ascension devient difficile. Les lueurs et bruits de la ville, la clameur des machines nocturnes ; tout cela a disparu. Au creux des montagnes, je marche à présent dans un palais à ciel ouvert, entre voûtes des pinacées et chape de neige.
Des bruits de pas, lourds et pesants. Je me retourne brusquement.
Le faisceau de ma lampe transperce le réel. Il n’y a rien.
Je respire. L’air glacial me gèle les poumons.
Je suis de retour dans la ville endormie. La lumière orangée, omniprésente dans les rues désertes, a quelque chose d’irréel, d’étrange, de presque malvenu. Le vent bat toujours, mais les filins métalliques, froids et coupants, ont remplacé les souples cimes des conifères.
La neige tombe de plus en plus. Je jette un regard à la montagne, presque ensevelie sous le brouillard. Je me félicite d’avoir su redescendre à temps de mon escapade nocturne.
Plusieurs fois, des silhouettes éthérées naissent au coin de me yeux. Quand leur présence devient agaçante, un mouvement de l’œil suffit à les chasser de ma rétine. J’apprends lentement à cheminer avec ces nouveaux compagnons de voyage.
Pas après pas, dans cet avant-poste consumériste, havre de lumière abandonné ; je sens mourir les dernières créatures qui me rongent.
Ce n’est qu’une fois cette nouvelle quiétude atteinte, qu’enfin, je me sens libre de songer à toi.
Le regard perdu dans la vallée nuageuse, courant sans but au gré de la lumière lunaire ; je songe au moment où nos mots, nos yeux, nos mains se croiseront de nouveau.
Quelques échos du passé résonnent au loin.
Quelques notes éparses de How To Disappear Completely.
Des mots qui font du bien.
Un soupir brûlant et de jolis yeux d’ébène mi-clos.
Une étreinte avant de se quitter.