De verre et de vent
Le parvis désert est balayé par le vent. Les quatre gigantesques tours fendent l'air, et balaient la dalle de violents tourbillons. La dalle est aride, béton séché et déséché par les courants d'air. Ces derniers sont les seuls à en parcourir la surface. Les arbres désolent et semblent y pousser à grand efforts.
Qu'il est étrange d'évoluer dans ces espaces tant dessinés pour l'image, et tant renfermés sur eux mêmes. Ils semblent ne prendre leur sens que dans la staticité, en dehors du temps ; des vents et des gens.
Urbanisme
La ville ne s'arrête que quand tout le monde est seul.
Vers le toit
Étage après étage, nous continuons notre ascension. La clameur de la rue nous paraît maintenant lointaine, et sa lumière ne forme plus qu'une nuée blafarde sous nos pieds.
Échelle après échelle, la veine urbaine devient son plan.
Trappe après trappe, nous arrachons la Lune à la ville. Les pièces d'acier galvanisé luisent lassivement sous sa lumière.
C'est à la force de nos corps et au rythme de notre adrénaline que nous percevons à présent le gabarit du bâtiment.
Arrivés au dernier étage de l'échafaudage, nous devons continuer l'escalade au delà d'une corniche. Une mince passerelle enjambe le vide.
Les derniers mètres seront les plus difficiles...
Sur le toit
Nous marchons prudemment sur les derniers entrevous d'une dalle en train d'être décaissée. Ce qui semblait jadis être une toiture terrasse agréable n'est plus cette nuit qu'un amas de gravats chaotique.
Étrangement, la démolition a fermé l'espace ; si bien que nous pourrions nous imaginer évoluer dans un intérieur, sans toit.
Ce qui reste de la dalle est percé par endroits, et laisse donc évaluer son épaisseur : après une rapide estimation, nous décidons d'augmenter la distance entre nous.
La démolition a laissé des portions de bâtiment sur le toit, ossatures et voiles mélangés pêle-mêle de manière indéchiffrable. L'atmosphère est étrange : ces cadavres de bâtiments semblent plus vieux que l'immeuble qui les supporte.
Un escalier vermoulu semble mener au sommet.
Toujours sur le toit
L'ultime effort nous apporte ce que nous étions venu chercher.
Au plus haut de l'immeuble désaffecté, nous ne percevons que deux ou trois bâtiments au dessus de nous. Tout autour, la nappe sombre des toitures s'étend à perte de vue dans la pénombre.
La masse de cet océan sombre est brisée par les rues : la ville nous offre la vue sur ses veines, dont s'échappent lumière, clameur et vie.
Nous restons assis là, entre béton armé et ciel de jais, à regarder ville et ciel se répondre à l'infini ; au gré du vent dans les filins métalliques.
Premier soir
Arrive alors cette heure charnière où, de nouveau, le mouvement paraît renaître. Un équillibre fragile et serein, suspendu au fil de l'heure tardive, s'achève.
Subitement, les terrasses des cafés se vident, et l'exode des derniers clients résonne un temps sur les pavés. Ils renvoient la douce clameur du soir, et la douce chaleur de la journée passée.
Les terrasses sont rapidement rangées : la place se dépeuple et s'agrandit. Les arcades, illuminées, enserrent la pénombre de son centre d'un spectacle nouveau.